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Romain, en VSI pour accompagner les jeunes adultes en Indonésie


15 Juil 2020

Former les jeunes adultes des bidonvilles à devenir entrepreneurs de leur vie

 

Le départ en mission

Par où commencer ? Nous sommes le 13 juillet 2020 et je tape frénétiquement sur mon clavier d’ordinateur, un café à ma gauche, un autocollant « Keep your distance, do not sit here » à ma droite. Il est 13:19 et je suis dans le sud de Jakarta, quartier dit “des affaires”, quartier dans lequel je ne vais habituellement jamais. Dans un café, au 4ème étage d’un mall, temple de la consommation, je laisse mon regard défiler à travers la baie vitrée qui offre une vue imprenable sur les buildings tout de verre vêtus.

Pour me donner du courage, ou plutôt de l’inspiration, avant de commencer cet exercice qui – je préfère vous prévenir – risque de partir un peu dans tous les sens, je relis ma déclaration. La déclaration, c’est le manifesto qu’on réalise à la fin de nos études à l’Icam. C’est en quelque sorte une réflexion sur l’ingénieur que l’on veut devenir. Je vous fais cadeau d’un extrait de ma conclusion :

« L’ingénieur que je veux être demain, c’est un ingénieur courageux qui n’a pas peur de se battre pour ses convictions. C’est un ingénieur qui écoute les autres, empathique et ouvert aux différences. C’est un ingénieur rigoureux, qui sait bousculer ses certitudes pour prendre les décisions qu’il juge les plus sages. C’est un ingénieur qui ne fait pas passer ses intérêts personnels avant l’intérêt général. C’est un ingénieur pragmatique et réaliste qui fait le choix de voir le verre à moitié plein. C’est un ingénieur qui observe, juge et agit. » 

A première vue, ça peut sembler un peu pompeux. Pourtant, je vous jure, j’ai essayé d’y mettre mes tripes et ma bonne volonté. Voir, juger, agir, l’idée était séduisante, il ne restait plus qu’à la mettre en application. Et c’est dans ce contexte un peu mythique que je suis parti le 19 septembre 2019, 3 jours après la cérémonie de fin d’études, en volontariat de solidarité internationale dans les bidonvilles d’Indonésie. 

 

Bienvenue dans le bidonville de Kampung Sawah

Notre planète compte aujourd’hui 1,2 milliard de jeunes, âgés entre 15 et 24 ans, dont 600 millions vivent en dessous du seuil de pauvreté (avec 1,50 euros par jour), mal nourris, victimes d’abus et de violences… Cela représente un jeune sur deux. C’est à eux que j’ai décidé de consacrer ma première année de vie professionnelle. Ma mission est d’accompagner des jeunes adultes défavorisés dans la construction de leur projet de vie. Je partage un peu de leur quotidien en logeant à Kampung Sawah, bidonville du nord de Jakarta, situé entre une zone de dépôt de conteneurs et une décharge, montagne de plastiques à ciel ouvert. 

À Kampung Sawah, aucun des 20 000 habitants ne possède de droit de propriété. Ils se sont attribué cet espace situé sur une zone inondable, car il faut bien habiter quelque part.  Il arrive parfois que les nuits soient tristes et courtes lorsque l’eau quitte la rivière pour grimper aux murs. Qu’importe ce que nous réserve la prochaine. Le soleil finit toujours par sécher les larmes. En Indonésie, il n’y a pas d’eau courante : il faut acheter des gallons ou de l’eau en bouteille pour s’hydrater. Dans notre bidonville, l’accès à une eau potable de qualité est difficile et onéreux. L’ONG Life Projet 4 Youth (LP4Y) y a donc créé voici quatre ans un centre de traitement et de livraison d’eau : Source of Life. Cette initiative de microéconomie est un centre de formation pour les jeunes en situation de grande précarité. Dans les quartiers les plus pauvres, beaucoup de jeunes, pour des raisons économiques, sont déscolarisés, sans travail et luttent pour leur survie. 

 

Former les Jeunes en situation d’exclusion à devenir Entrepreneurs de leur vie

Dans ce centre donc, les jeunes, femmes et hommes, que nous accompagnons expérimentent – en équipe de 17 – la création, le développement et la gestion d’une entreprise. Finance, marketing, vente, gestion des stocks, livraisons, ressources humaines, ils sont divisés en départements et ont des responsabilités qui évoluent en fonction de leur ancienneté dans le programme. Véritables entrepreneurs, ils sont devenus les responsables de cette entreprise de traitement et de livraison de l’eau. L’équipe, dynamique, sensibilise également la communauté locale, notamment au sein des écoles, à l’importance de la consommation d’eau filtrée. Ces entrepreneurs travaillent, et nous leur versons une indemnité qui les aide à subvenir à leurs besoins et à épargner pour démarrer leur vie professionnelle.

La gestion d’entreprise représente 50 % de la formation. À celle-ci s’ajoutent 30 % d’apprentissage : rattrapage scolaire et acquisition de compétences professionnelles (anglais, informatique, communication, etc.) et 20 % de « guide » : développement personnel, management des émotions, accompagnement budgétaire, identification des compétences, projection dans l’avenir et construction de leur projet de vie… Vaste programme. Et mon travail dans tout ça ? Je suis « catalyseur », j’orchestre cette formation pour que tout se passe au mieux ! 

 

Une expérience professionnelle à forte valeur ajoutée

Retour sur ce que j’ai pu expérimenter pendant mon VSI (volontariat de solidarité internationale) avec LP4Y. Tout d’abord, c’est une expérience à l’internationale. On doit s’adapter à une autre culture et manier la langue de Shakespeare.  L’anglais est de mise aussi bien avec les jeunes que nous formons ainsi qu’avec nos partenaires corporates, des multinationales (Decathlon, Axa, Hayat Hôtel, Servier…) qui soutiennent notre ONG. C’est une expérience de management et de gestion d’une petite activité économique. Nous coordonnons des équipes d’une vingtaine de jeunes adultes à gérer une entreprise. C’est aussi une aventure éducative : ces jeunes arrivent avec des niveaux de compétences disparates, la formation fait partie à part entière de notre mission de « coach ». Dans des univers qui ne sont pas initialement les nôtres, la rigueur et l’organisation sont également des compétences indispensables si on veut garder le contrôle de sa mission. 

Alors, vous me direz, ces expériences professionnelles on peut les retrouver en effectuant un VIE (Volontariat International en Entreprise) et vous aurez raison. La valeur ajoutée du VSI, c’est que vous vivez une véritable sortie de zone de confort. Au-delà d’expérimenter un changement culturel qui peut parfois rester en surface – difficile de sortir de sa zone de confort avec le niveau de vie que l’on garde en étant « expatrié » -, vous vivez également un bouleversement de vos repères sociaux. Pour ma mission de volontariat, je vis dans le bidonville dans lequel je travaille. Et ma rémunération ne me permet pas de m’échapper tous les weekends pour retrouver les roofs-top dorés. Alors on s’adapte : on apprend à changer de niveau de vie, on fait l’expérience de la sobriété, des inondations, des coupures d’électricité, des parties de footballs dans les rues, de la générosité, de l’hospitalité, des plaisirs simples et vrais. On découvre la pauvreté, qui s’avère infiniment plus enrichissante que pourrait nous laisser le croire les clichés que nous en avons.

 

Une leçon de vie inoubliable

Qu’est-ce qu’on découvre en vivant dans un bidonville ? Ce sont les sourires, la joie de vivre permanente, la résilience et la générosité des habitants. Alors qu’en France, nous avons tendance à râler pour un rien et à transformer nos mésaventures en cataclysme, des femmes et des hommes qui ne possèdent rien ne manquent jamais une occasion de nous offrir une douceur culinaire et nous lancent des sourires aussi grands que l’Asie et l’Europe réunies.  

Pourtant, ces sourires, quand je vois les inondations détruire les maisons déjà précaires, la crise économique mettre au chômage des familles entières, quand je vois des jeunes sans famille, sans maison, sans papier, jouer de la guitare dans la rue, j’aimerais parfois, ces sourires, les voir remplacer par des grimaces de colère, de tristesse. Comme l’expression d’une volonté de vouloir changer les choses, crier STOP ! C’est pour moi le sourire d’un peuple qui accepte son destin.

Utopiste que je suis, imbécile, aveugle, sourd, ce sourire est pourtant la preuve que la joie et la résilience sont plus fortes que tout. C’est le sourire de la compassion et du pardon, la sagesse qu’il faut pour accepter le fait que nous ne maîtrisons pas tous les éléments, que nous ne sommes pas les acteurs tout puissants de notre propre film. Et il en faut du courage pour avoir l’humilité de reconnaître ça, de l’accepter et de continuer sa vie en conciliant comme on peut les impératifs : se nourrir, se loger, s’éduquer…. 

A mes yeux, la communauté du bidonville de Kampung sawah est un collectif de Super-héros qui nous aide à affronter les coups de mou et nous ouvre les yeux sur notre ignorance des choses essentielles à la vie. Et cela en toute simplicité : loin d’être moralisatrice, elle continue de vivre la vie qu’elle a toujours connue. 

 

Et la suite ? 

Cela fait maintenant 10 mois que je suis en Indonésie et ma mission doit se terminer en septembre. Le coronavirus poursuit doucement sa conquête du pays bien que dans le bidonville, c’est une légende que l’on voit passer sur les réseaux sociaux, comme celle des footballeurs qui collectionnent les voitures de sport ou des actrices qui défilent en robes luxueuses. LP4Y continue plus que jamais ses activités et un deuxième centre vient d’ouvrir en Indonésie, portant le nombre de programmes de formation dans le monde à 41. Depuis la création de l’ONG en 2009, 2 493 jeunes ont été accompagnés vers l’insertion professionnelle et cela dans 13 pays d’action. 

J’ai décidé de poursuivre ma mission pour 1 an supplémentaire avec LP4Y. Direction New York, ou plutôt le Bronx, où je travaillerai au Lab, centre de développement de solutions innovantes pour l’accompagnement à l’insertion professionnelle et sociale de Jeunes exclus. Au programme : Recruter, former et accompagner des professionnels de l’inclusion ; Organiser des événements pour connecter les acteurs locaux et partager les bonnes pratiques ; Accompagner des porteurs de projets dédiés à l’inclusion des Jeunes. 

Du fait de la présence de l’ONU et du siège de nombreuses grandes entreprises, le Lab New York comporte une dimension essentielle de plaidoyer.

En parallèle, j’organiserai un gala de charité pour présenter à ceux qui continuent de faire confiance à LP4Y, et qui, comme nous, croient au formidable potentiel de chaque Jeune accompagné, et aux avancés de nos activités !  #TogetherWeCan 

Romain Mailliu